L’ESPRIT APOSTOLIQUE (Carême 1983)
Publier le 11 février 1983
Chers Confrères et chères Sœurs,
A l’occasion du Carême qui approche et que nous vivrons dans l’optique de la Célébration du Centenaire de l’Évangélisation du Congo, je voudrais adresser à tous les ouvriers apostoliques : Prêtres, Religieux et Religieuse qui travaillent dans notre Diocèse une exhortation sur l’esprit apostolique, fruit des concertations des différentes assises de la Curie Épiscopale et des réflexions personnelles.
Le but de cette exhortation est tout d’abord d’éveiller notre conscience pour réfléchir sur les attitudes et la conduite que nous devrions tenir dans l’exercice de nos fonctions pastorales et apostoliques pour être plus efficaces auprès du peuple que nous sommes appelés à évangéliser et à servir.
A la lumière de toutes ces réflexions, nous nous efforcerons alors d’adopter une nouvelle manière de vivre et d’exercer notre ministère et notre apostolat.
1. Le pari du centenaire : le renouveau
La Célébration du Centenaire de l’Évangélisation du Congo est un pari pour tout chrétien de l’Église Catholique. L’objectif visé est de taille : le Renouveau spirituel. Il est un véritable bouleversement de notre vie habituelle, et demande à chacun des fidèles un effort de reconversion sur tous les plans. Les Ouvriers Apostoliques en seront les premiers concernés, eux qui par fonction ou par mission doivent sensibiliser ou entraîner les autres à l’action. Que ce soit pour eux tous l’occasion de rénover et de restimuler l’esprit apostolique dont la flamme s’est atténuée chez beaucoup de Prêtres, Religieux et Missionnaires.
Je voudrais ici attirer l’attention des Confrères Prêtres diocésains ou missionnaires sur un point capital qui risque de paralyser l’action apostolique dans le Diocèse : la disponibilité entre les mains de la hiérarchie et la stabilité à son poste de travail. Que cela soit aussi pour tout ouvrier apostolique son pari du Centenaire de l’Évangélisation.
2. L’obéissance aveugle
L’ère de l’autoritarisme et de l’obéissance aveugle est certes révolue. Les Religieux qui acceptaient cette pratique la rejettent à présent. Je ne sais pas s’il y a encore des Jésuites qui obéissent “sicut cadavera”. Aujourd’hui ceux qui font ce vœu de religion prennent soin de le formuler en termes très adoucis : “je fais vœu d’obéissance dans le dialogue”, entendu pour certains dans le sens d’obéir après avoir bien discuté les ordres ou les décisions de l’autorité.
A l’ordination diaconale, après l’engagement au célibat qu’il conclut habituellement en faisant un pas en avant, l’Ordinand exécute une deuxième démarche qui l’engage également pour toute la vie : la promesse d’obéissance par ce petit dialogue entre l’Évêque et lui : “Promettez-vous de vivre en communion avec votre Évêque et ses successeurs dans le respect et l’obéissance” ? R/ Je le promets.
3. La disponibilité
Vœu pour le Religieux ou promesse pour le Prêtre séculier, l’un et l’autre sont d’importance capitale, puisqu’on le fait devant le Seigneur. Alors si les termes de vœu ou de promesse d’obéissance faisaient difficulté dans notre langage moderne, adoptons celui de “disponibilité”. Quelle belle qualité, quelle vertu que d’être toujours prêt à servir le Seigneur à travers les autres et dans les autres ! Quelle grandeur d’âme que d’être prêt à se porter volontaire pour la cause de Jésus-Christ ! La cause de Jésus-Christ, c’est sa mission d’évangéliser le monde entier, cette mission que devra accomplir l’ouvrier apostolique là où il est envoyé.
Celui qui manque de disponibilité, qui ne fait que ce qu’il choisit lui-même ou ce qu’il veut, est loin de mériter le nom de l’Apôtre (l’envoyé, le messager). Encore moins on l’appellerait le disciple de Jésus-Christ, du Messie envoyé par le Père. Jésus-Christ est en effet le premier Apôtre que les disciples doivent imiter et suivre : “Je suis venu, dit-il, pour faire la volonté de mon Père. Je ne suis pas venu pour faire ma volonté” (Jn 6, 38). Comme le Père m’a envoyé, moi aussi je vous envoie” (Jn 20, 21)
L’esprit apostolique est par conséquent un esprit de foi et de promptitude à répondre à la voix du Seigneur, un esprit de disponibilité dans l’exécution et le renoncement de soi, pour le service de Dieu, de l’Église et du prochain, afin que le règne du Père arrive partout dans le monde où nous travaillons.
4. Stabilité et fidélité des pasteurs
L’esprit apostolique exige en outre que nous soyons fidèles à notre mission, à notre ministère, et stables à notre poste de travail.
L’apôtre est aussi un pasteur. Or un pasteur est comme un père de famille ou une mère nourricière. Les fidèles auxquels il a été envoyé voudraient le trouver chaque fois qu’ils ont besoin de lui. Mais comment le trouver s’il est souvent parti ou absent de son poste ? S’il est lancé à poursuivre d’autres activités que celles pour lesquelles il s’était engagé ?
Nous ne disons pas que l’Apôtre ou le pasteur doit rester sédentaire. Bien au contraire il doit aussi bouger, circuler, vigiler, mais toujours dans les limites de son champ d’apostolat ou le cadre de ses fonctions. On trouve normal qu’il s’absente pour des tournées pastorales, même de longue durée, (une semaine, deux semaines, un mois...), ou encore pour d’autres activités ministérielles : Sessions d’étude, réunions d’œuvres, récollections...
5. Une incompatible mobilité
Mais si l’on apprend qu’il est tantôt à Bacongo, à Poto-Poto, à Kindamba, tantôt à Loubomo ou à Pointe-Noire sans trop savoir pourquoi, au détriment de son travail au poste, voilà une trop facile mobilité qui étonne et fait juger du manque de sérieux d’un pasteur.
On jugerait mal en effet, un père de famille qui régulièrement s’absente de sa maison le soir, ne rentrant que tard dans la nuit. Que ne dirait-on pas d’un Prêtre, d’un Religieux et bien plus d’une Religieuse, qui aura fait de ses absences nocturnes tardives une habitude ? Cette façon d’agir, comme la manie de prendre ses repas à l’extérieur quand on est à plusieurs dans une maison, détruit sûrement la vie de communauté, et par conséquent est incompatible avec l’esprit apostolique.
Par ailleurs tous les anciens se rappellent que Mgr Théophile avait une fois remis sous enveloppe fermée une lettre à ses Prêtres dans laquelle il demandait à chacun de rentrer à son domicile dès 22 heures. Je fais mienne cette discipline et la recommande à tout le Clergé, car je pense que les raisons qui avaient motivé Mgr MBEMBA à rédiger cet acte disciplinaire n’ont pas encore disparu aujourd’hui.
6. Les repas en commun signe de communion fraternelle
La diversité d’occupations et d’activités de la journée ne permettent pas souvent aux différents membres d’une Communauté de prendre leur repas ensemble.
D’autre part les Équipes sacerdotales en paroisses sont habituellement assez réduites : deux ou trois Prêtres ; de même les communautés religieuses des congrégations touchées par la crise actuelle de la recrue. Quand l’un ou l’autre membre est absent, on risque de prendre son repas à seul. Et si par malheur ces manies de désertion que je signalais tantôt s’installent dans une maison, il y aura un qui se retrouvera presque toujours seul à table.
Or, il y a un moment, tout au moins, en ville, où tous les membres de la communauté peuvent se retrouver ensemble : c’est le soir ou le jour de dimanche.
Que le soir soit décrété par chaque maison comme le temps favorable des retrouvailles communautaires pour prier ensemble, manger ensemble, partager ensemble les joies et les soucis du travail pastoral et ministériel de la journée, quel bel esprit de communion et de charité fraternelle ! Et pourquoi pas se détendre ensemble de temps en temps en jouant à la carte, aux échecs ou au damier ? Alors on chanterait avec le psalmiste : “Oh qu’il est bon, qu’il est doux pour des frères de vivre ensemble et d’être unis” (Ps 132, 1).
7. Situation en campagne de ceux qui sont seuls
A la campagne où le rythme de travail du ministère pastoral est différent, on fixera des semaines ou des jours où l’on pourra se retrouver ensemble à la Mission ou à la Paroisse pour goûter la joie de la vie en communauté.
C’est une mauvaise façon de faire chez les Prêtres de campagne que d’être toujours parti en tournée aussitôt que l’autre revient. Il faut prendre le temps de se retrouver ensemble pour réfléchir la pastorale paroissiale et revivre la vie communautaire, comme les Apôtres avec le Christ. Mais le repas en commun restera toujours un signe de communion fraternelle entre les membres d’une même Équipe sacerdotale ou d’une Communauté religieuse.
Nous déplorons le cas de ceux qui sont obligés de vivre seuls par manque de personnel. Mais même ceux-là devront s’efforcer de rechercher la compagnie de leurs Confrères voisins, soit en allant chez eux, soit en les invitant chez soi. Je sais qu’il y en a certains qui s’accommodent bien à cette situation d’anachorète pour des individuelles. Mais c’est l’idéal qui ne cadre pas avec le genre de vie des pasteurs de Paroisse ou du ministère actif de masse.
Conclusion
Je disais au début de cette exhortation que le “Renouveau spirituel” préconisé dans le message des Évêques du Congo à l’occasion de la Célébration du Centenaire de l’Évangélisation de notre pays, “demande un effort de conversion” de la part de chacun d’entre nous, parce qu’il est “un véritable bouleversement de notre vie habituelle”. Je souhaite que nous soyons tous capables d’un tel effort à propos de tout ce que nous avons dit sur l’esprit apostolique, la stabilité, la fidélité de l’Apôtre ou du pasteur, ainsi que sur la communion fraternelle des membres d’une Communauté.
Puisse cette exhortation servir de méditation, pour le Carême qui vient, aux Ouvriers Apostoliques œuvrant dans notre Communauté diocésaine, en vue d’un réel Renouveau dans notre vie et notre apostolat.
Monseigneur Barthélémy Batantu, Archevêque de Brazzaville,
Carême 1983
Brazzaville le 11 Février 1983