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SI LE SEL S’AFFADIT, AVEC QUOI LE SALERA-T-ON ? (Mt. 5, 13) (Carême 1995)

Publier le 18 mars 1995

Chers frères et sœurs en Jésus Christ,

Si l’année dernière, notre exhortation de Carême portait essentiellement sur la réconciliation et la paix, cette année 1995, nous voudrions surtout insister sur le témoignage décisif des chrétiens qui n’ont pas le droit de baisser le bras dans une société en profonde crise politique et socio-économique.

1. La foi chrétienne à l’épreuve

Devant l’impasse économique et sociale qui paralyse notre pays, et face aux pratiques ignobles de corruption et de violence qui deviennent malheureusement monnaie courante dans nos milieux de vie, la tentation est forte de nous décourager, de tomber dans le désespoir et de laisser simplement la situation se détériorer. Mais en tant que chrétiens, nous devons nous rappeler que la foi ne nous permet pas de plier devant les difficultés, si gigantesques soient elles. Convaincus que “nous pouvons tout en Celui qui nous fortifie” (Phil.4, 13), nous avons le noble devoir et la redoutable mission d’assumer cette période spéciale de notre vie sociale dans un profond esprit de foi, sûrs et certains que Jésus-Christ qui a fait alliance avec nous dans le Baptême nous rejoint aussi dans les grands soucis qui sont les nôtres aujourd’hui. A chaque situation spéciale, Dieu accorde certainement une grâce spéciale qu’il faut savoir solliciter en toute humilité et en toute confiance.

2. Le combat de Dieu

“Les yeux fixés sur Jésus-Christ, entrons dans le combat de Dieu”. C’est ainsi que s’exprime une antienne du bréviaire prévue pour le temps de Carême. Nous devons comprendre que le combat spirituel que nous sommes invités à mener contre toute tentation et toute convoitise en vue de notre conversion est d’abord le combat de Dieu. Nous avons donc à lui faire confiance puisqu’il nous a dit : “dans le monde, vous aurez à souffrir, mais courage, j’ai vaincu le monde” (Jn 1 6, 33). Nous ne sommes donc pas seuls à lutter, mais nous sommes toujours accompagnés par le Seigneur qui nous a solennellement promis son assistance : “Je serais avec vous tous les jours jusqu’à la fin du monde” (Mt 28, 20).

3. Vous serez mes témoins (Ac 1, 18)

Même si le commun des mortels se conduit de manière égoïste, en pensant uniquement à son propre intérêt, les chrétiens, eux, ne doivent pas se laisser corrompre par les mauvais exemples. Au contraire, ce sont eux qui doivent montrer le bon exemple de la compassion et de l’amour fraternel. C’est grâce à un comportement fondé sur la gratuité, le respect, la bonté et l’amour fraternel que le monde se convertira à Jésus-Christ : « Vous êtes le sel de la terre ; si le sel s’affadit avec quoi le salera-t-on ? Il ne vaut plus à rien ; on le jette dehors et il est foulé aux pieds par les hommes. Vous êtes la lumière du monde. Une ville située sur une hauteur ne peut être cachée » (Mt 5, 13-14). Et dans le même sens le Pape Paul VI a écrit : « L’homme contemporain écoute plus volontiers les témoins que les maîtres » (EN., n°4)

Nous ne pouvons pas être des chrétiens à mi-temps, mais nous devons témoigner de Jésus-Christ 24h sur 24h. Beaucoup de chrétiens, en effet, refusent de porter leur croix en ces temps de crise, alors que l’alliance que Dieu a conclue avec nous en Jésus-Christ nous unit pour le meilleur et pour le pire, comme dans un vrai mariage. « Il y en a beaucoup qui désirent le céleste Royaume de Jésus, mais peu consentent à porter sa croix » (Imitation de Jésus- Christ, Livre 2, 11, § 1). Si nous tenons à rester fidèles aux engagements du Baptême, c’est parce que nous avons compris qu’une société qui a perdu le sens du bien commun, le sens du respect des personnes et de leurs biens, le sens de la gratuité, de la solidarité et de l’amour fraternel, ne peut plus offrir à ses membres l’atmosphère nécessaire à toute cohabitation humaine viable. « A quoi sert à l’homme de gagner tout l’univers, s’il perd son âme » ? (Mt 16, 26). Nous avons également bien compris, avec tous les hommes de bonne volonté, qu’attiser la violence et l’intérêt égoïste, c’est hâter le suicide collectif de notre nation. Activer par contre la solidarité et la coexistence pacifique, c’est favoriser la réconciliation nationale et la paix en vue d’un avenir plus radieux de la nation congolaise.

C’est, forts de toutes ses convictions, que nous devons tenir bon, malgré les bourrasques du moment, pour être des témoins héroïquement fidèles de l’Évangile. Nous avons à accomplir sérieusement ce qui nous est demandé par l’Église et par Jésus-Christ : du sérieux de notre engagement dépendra, en grande partie, la crédibilité de notre message. Beaucoup de chrétiens scandalisent les autres par leur mauvais comportement moral. D’autres orientent leurs frères et sœurs vers les pratiques superstitieuses de sorcellerie. Comment peut-on prétendre évangéliser en profondeur si on cultive la peur des mauvais esprits au lieu de mettre en valeur la foi libératrice en Jésus-Christ ? La Bonne Nouvelle que nous sommes chargés d’annoncer n’est pas seulement un livre à méditer, mais une personne vivante en qui nous croyons : Jésus, mort et ressuscité.

4. Occuper la jeunesse

L’éducation de la jeunesse doit toujours être le souci préoccupant des parents et de l’État. Nous assistons depuis quelques mois à un phénomène grave : le désœuvrement de la jeunesse. Et pourtant tout le monde connaît l’adage populaire : La paresse est la mère de tous les vices ! Une jeunesse qui ne va plus à l’école, une jeunesse qui ne s’adonne plus au sport, bref, une jeunesse abandonnée à elle-même ne peut à la longue que se donner à la débauche et à la drogue pour tuer l’ennui. Devant les difficultés voire l’incapacité de l’État d’assurer une éducation scolaire régulière et convenable aux enfants et aux jeunes, que tout le monde, les parents en tête, se mobilise et se concerte à trouver une solution fiable à ce désastre.

Nous félicitons et encourageons tous ceux qui ont eu l’initiative d’ouvrir par-ci par-là des écoles privées. Malheureusement ces écoles étant payantes, elles ne sont pas à la portée des possibilités financières des parents pauvres qui sont majoritaires dans notre pays. D’où il faut sérieusement trouver d’autres moyens pour tenter de récupérer cette jeunesse désorientée et abandonnée à elle-même, qui cherche, désemparé, des raisons d’espérer et de croire à l’avenir. Ne représente-t-elle pas tout l’espoir de notre pays ?

5. La juste répartition des richesses

C’est épouvantable et scandaleux de voir actuellement la majorité du peuple congolais sombrer dans la misère et la faim, tandis qu’une infime partie roule carrosse. Est-ce réellement servir le peuple ? Jamais, de mémoire de congolais, on a vu les gens souffrir d’une faim aussi aigu et connaître des conditions de santé aussi minables, alors que le paludisme, le Sida et autres endémies font rage. Nous prions tous les partenaires sociaux de mettre tout en œuvre afin qu’avec le paiement régulier des salaires les gens retrouvent un pouvoir d’achat capable de les aider à mener une vie humaine digne. Nous n’avons pas le droit de sacrifier le bien-être des personnes humaines sur l’autel de Dieu Mammon. La grandeur d’un homme politique, c’est de servir l’intérêt supérieur de la Nation et non de penser uniquement à garnir son compte en banque. Les chrétiens qui servent dans ces structures administratives ou de l’État n’en sont pas de modèles. Ils font comme les autres. Qui sauvera alors notre pauvre peuple ?

6. Échange d’expériences

C’est un fait universel d’expérience que le besoin rend ingénieux. Nous ne pouvons dès lors qu’encourager les diverses initiatives qui surgissent çà et là, en matière d’éducation, de réflexion, d’activités économiques et associatives, dans la mesure où elles sont appelées à contribuer au développement social et se situent volontiers dans le cadre de la recherche active des ébauches de solutions à la crise. L’occasion n’est-elle pas d’ailleurs ainsi donnée aux cadres congolais formés sur plusieurs plans d’échanger leurs différentes expériences et de propager des pistes réalistes qui aident progressivement le Congo à sortir du gouffre où il est plongé ? Se contenter de travailler séparément et individuellement ne profitera certainement à personne. Il faudra à tout prix conjuguer les énergies et les forces en vue d’arriver à des résultats prometteurs et consistants. Que dans ces initiatives, les chrétiens restent les promoteurs ou les soutiens.

7. Honneurs aux victimes de saint Pierre

A quelques mois du grand drame qui s’est abattu sur notre Église et sur notre pays avec les tragiques événements de Saint Pierre-Claver, nous avons le devoir d’honorer ces frères et sœurs qui nous ont quittés en ce vendredi 12 Août 1994 et que nous avons appelé : Les Témoins de la Foi et de la Prière. Ils ont connu les souffrances physiques, morales et spirituelles qui sont les nôtres aujourd’hui. Ils sont donc bien placés pour être nos intercesseurs auprès du Seigneur de miséricorde et de réconfort. Puisons-nous, nous aussi, prier pour eux et contribuer financièrement à la construction de leurs tombes, selon les modalités précisées dans notre circulaire envoyée dernièrement dans les paroisses : c’est un devoir impérieux de charité fraternelle.

Cette tragédie qui restera longtemps dans nos mémoires comme un signe mystérieux dont le Seigneur ne nous a pas encore révélé toute la signification, ne présage pas moins les promesse de paix et de concorde vu le contexte pacifique dans lequel l’événement s’est produit.

Les objectifs de la campagne d’évangélisation de la famille qui l’avaient motivée devront être poursuivis de quelque façon afin que la famille congolaise très secouée dans ses traditions et déchirées par toutes sortes d’intrigues, d’accusations superstitieuses, reconquiert sa dignité et son autorité au sein de ses membres et devant la société, puisse vivre dans la paix et la concorde, l’amour et la fraternité.

8 Prier sans cesse

La force qui nous permettra d’être de vrais témoins de Jésus-Christ dans un monde en crise ne peut provenir que de la prière insistante. Devant la multiplication des difficultés du moment, beaucoup de personnes sont tentées d’abandonner la prière au sein de leur Église pour aller dans les sectes, parce que considérée comme inefficace et inutile. C’est pour cela qu’il nous est demandé, à nous chrétiens, surtout en ce temps fort de Carême, de prier sans cesse pour cultiver les vertus de constance, de patience, de persévérance, d’endurance et de ténacité qui nous permettront d’éviter l’énervement et la panique des personnes qui manquent de foi. Souvenons-nous toujours de l’épisode de la « tempête apaisée » (Mc 4, 35-41) et réveillons Jésus en nous par une prière régulière et assidue, car sans Lui, “nous ne pouvons rien faire” (Jn 15, 5).

Mais prions sans cesse pour la paix du Congo toujours menacée ici et là par quelques foyers de tension prêts à se rallumer aux moindres prétextes de la course au pouvoir.

Dans notre prière, nous n’oublierons pas toutes ces victimes dont le nombre reste encore inconnu, qui sont tombées sous les balles et les atrocités d’une guerre fratricide. Que leur sang qui a abondamment coulé sur cette terre des martyrs de la politique serve de caution aux yeux du Seigneur pour une paix véritable et durable.

Conclusion

Le témoignage chrétien qui nous est demandé en ce temps de crise peut paraître très utopique aux yeux de certains. Et pourtant, c’est la mission et le rôle de tout croyant d’être levain dans la pâte. La grande capacité de l’intelligence de l’homme n’est-elle pas justement de chercher et de trouver des solutions nouvelles diverses situations et circonstances nouvelles qui se présentent sans cesse à lui.

Le Seigneur nous aime trop pour nous abandonner à nous-mêmes. Travaillons d’arrache-pied et faisons-lui confiance ; il saura sûrement venir à notre aide si nous savons l’opportuner par une fervente prière. L’honneur nous échoit aujourd’hui de participer, chacun à son niveau, à l’accouchement de ce monde nouveau que l’Église et le pays appellent de tous leurs vœux. Seule l’espérance chrétienne peut nous aider à réunir ce pari : « Ceux qui espèrent ne seront pas déçus » (Ps 68, 7).

 

Monseigneur Barthélémy Batantu, Archevêque de Brazzaville,
Carême 1995
Brazzaville, le 18 Mars 1995

 


 

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