HOMÉLIE À L’OCCASION DU JEUDI SAINT 2016
Publier le 25 mars 2016
« PRÊTRE : DISPENSATEUR ET BÉNÉFICIAIRE DE LA MISÉRICORDE »
Homélie à l’occasion du Jeudi Saint 2016
Monsieur le Vicaire Général
Monsieur le Vicaire épiscopal
Monsieur le Chargé d’Affaires de la Nonciature
Monsieur le Secrétaire général de l’ACERAC,
Monsieur le Secrétaire Général de la Conférence épiscopale du Congo
Responsables Régionaux ou Provinciaux des Congrégations Religieuses masculines
Responsables régionales ou provinciales des Congrégations religieuses féminines
Messieurs les Recteurs de deux Grands Séminaires
Monsieur le Directeur du Séminaire St Jean
Chers frères dans le sacerdoce, de façon particulière,
Les Responsables des mouvements d’apostolat.
Chers frères et sœurs,
En cette Année de la Miséricorde, décrétée par notre Saint Père le Pape François, j’ai pensé vous donner un message particulier, en ce jour du Jeudi Saint, au cours de cette messe chrismale où nous allons non seulement bénir les huiles mais aussi renouveler nos engagements sacerdotaux.
En effet, dans une Église en proie à des multiples difficultés, à cause des actes répréhensibles et délictueux commis par certains d’entre nous, et à cause de la sécularisation toujours grandissante de nos sociétés, il est important de rappeler le rôle et la place qui sont les nôtres dans la société et dans l’Église. Cela n’est possible que dans une démarche de critique et d’autocritique, objective et constructive.
C’est pourquoi, à la lumière des textes de cette Messe Chrismale et à celle de la bulle d’indiction du Jubilé Extraordinaire de la Miséricorde Divine, Misericordiae vultus du Pape François, nous allons redécouvrir certains points essentiels de notre identité sacerdotale.
Les textes du jour sont clairs sur l’appel, la mission et le rôle du prêtre. L’élection du prêtre est une initiative et une œuvre divine. Personne ne se choisit soi-même pour se mettre au service de Dieu et de Son Église. C’est Dieu qui appelle et qui oint lui-même. L’extrait du livre d’Isaïe est précis à ce sujet : « L’esprit du Seigneur Dieu est sur moi parce que le Seigneur m’a consacré par l’onction ». Ce sont des mots nobles et riches en sens, mots qui révèlent l’implication divine dans l’histoire de toute vocation, surtout la vocation sacerdotale.
Cela a des conséquences énormes dans la vie de celui qui est appelé à collaborer à l’œuvre de sanctification et de rédemption du Peuple de Dieu. Sa vie doit être le reflet de ce choix divin. C’est un travail de longue haleine et dont la durée n’est pas déterminée, car c’est toute sa vie que le prêtre est invité à vivre conformément à cette élection divine. Des attitudes concrètes et objectives doivent nourrir quotidiennement ce choix divin. Nous pensons à une vie de prière réelle, bien structurée et organisée, individuellement et/ou en communauté. Cette vie passe par la célébration quotidienne de la messe, par le respect de la liturgie des heures, par la participation effective à un temps nécessaire de retraite spirituelle annuelle, à la pratique des exercices spirituels et de piété, à la fréquentation du sacrement de la réconciliation (nous y reviendrons tout à l’heure).
Ce choix implique aussi une discipline de vie et une prudence mesurée dans la manière d’être et de faire du prêtre. Le prêtre est cet homme mis à part par le Seigneur, en vue d’une mission spécifique. Cette mise à part mérite d’être honorée et promue par le prêtre lui-même Il ne peut jamais se confondre dans la masse et faire comme tout le monde. Il doit s’exercer à mettre des balises sur "sa route" et dans sa vie, s’inspirant de la vie du Christ qui est Son Maître et en lisant avec profit et sagesse les documents du Magistère qui définissent son identité comme Presbytorum ordinis du Concile Vatican II, Pastores dabo vobis du Pape Jean-Paul II, le Directoire sur le ministère et la vie du prêtre de la Congrégation pour le Clergé, etc. L’apôtre Paul quant à lui, nous exhorte à ne pas prêter le flanc à la critique par des attitudes et gestes ambigus. « Pour que notre ministère ne soit pas exposé à la critique, nous veillons à ne choquer personne en rien » (2 Cor 6, 1-4)
Le prêtre ne peut pas inventer sa mission. Celle-ci est donnée par Dieu Lui-même. Isaïe le rappelle bien : « Il m’a envoyé annoncer la bonne nouvelle aux humbles, guérir ceux qui ont le cœur brisé, proclamer aux captifs leur délivrance, aux prisonniers leur libération, proclamer une année de bienfaits accordée par le Seigneur, et un jour de vengeance pour notre Dieu, consoler tous ceux qui sont en deuil, ceux qui sont en deuil dans Sion, mettre le diadème sur leur tête au lieu de la cendre, l’huile de joie au lieu du deuil, un habit de fête au lieu d’un esprit abattu ».
C’est une mission d’annonce et d’actions de libération, à laquelle le prêtre ne peut se dérober. C’est Dieu qui envoie en mission et dit ce qu’il faut faire. Le contenu de la mission du prêtre vient de nous être rappelée par l’extrait du livre d’Isaïe que nous venons de citer en écho à la première lecture faite à cette messe. Cette mission vient de Dieu, par l’intermédiaire du Pape ou de l’Évêque.
Étant donné que l’Église, en plus d’être une réalité invisible, est aussi une société organisée et, à ce titre, elle est régie par des autorités compétentes. Celles-ci sont de différents ordres, comme nous venons de l’effleurer tout à l’heure. L’autorité qui nous intéresse maintenant, est celle du Pape qui nous a demandé de célébrer une Année de la Miséricorde, depuis le 8 décembre 2015. Des activités sont prévues pendant cette année : que « le peuple chrétien réfléchisse durant le Jubilé sur les œuvres de miséricorde corporelles et spirituelles ». Ce sera une façon de réveiller notre conscience souvent endormie face au drame de la pauvreté, et de pénétrer toujours davantage le cœur de l’Évangile, où les pauvres sont les destinataires privilégiés de la miséricorde divine.
La prédication de Jésus nous dresse le tableau de ces œuvres de miséricorde, pour que nous puissions comprendre si nous vivons, oui ou non, comme ses disciples. Redécouvrons les œuvres de miséricorde corporelles tirées de l’Évangile de st Matthieu : donner à manger aux affamés, donner à boire à ceux qui ont soif, vêtir ceux qui sont nus, accueillir les étrangers, assister les malades, visiter les prisonniers, et la dernière : ensevelir les morts, inspirée du livre de Tobie. Et n’oublions pas les œuvres de miséricorde spirituelles : conseiller ceux qui sont dans le doute, enseigner les ignorants, avertir les pécheurs, consoler les affligés, pardonner les offenses, supporter patiemment les personnes ennuyeuses, prier Dieu pour les vivants et pour les morts." (Pape François, Misericordiae vultus, 15).
Dans ces différents éléments constitutifs de la mission, un mérite d’être relevé particulièrement : le pardon des péchés. Cela passe par la célébration du sacrement de pénitence qui revêt une importance particulière en cette Année de la Miséricorde. Le Pape François le souligne nettement dans sa bulle : « Le pardon est une force qui ressuscite en vie nouvelle et donne le courage pour regarder l’avenir avec espérance » (Pape François, Misericordiae vultus, 10).
Par rapport à ce sacrement, le prêtre joue un rôle essentiel non seulement en tant que ministre du sacrement, mais aussi en tant que instrument de Dieu pour sa miséricorde infinie : « Le confesseur... est le signe concret de la continuité d’un amour divin qui pardonne et qui sauve ».
La mission de révéler et de dispenser la miséricorde de Dieu incombe en premier à nous prêtres. Il faut nous rappeler le comportement des premiers missionnaires et de nos aînés dans le sacerdoce qui étaient toujours disponibles à confesser. Aucun prétexte ne peut nous dispenser de cette mission éminemment importante que le Seigneur nous a confiée, à travers le sacrement de la réconciliation. Accordons la Miséricorde divine à ceux qui la demandent et sont dûment disposés à la recevoir. D’ailleurs, dans son homélie du jeudi 10 septembre, le pape François avait adressé une parole particulière aux prêtres en les appelants à être miséricordieux.
« Si vous êtes un prêtre et ne vous sentez pas à être miséricordieux, demandez à votre évêque de vous donner le travail administratif, mais ne descendez pas au confessionnal, s’il vous plaît », a-t-il supplié. Et si un prêtre se plaint d’être « nerveux », ce n’est pas une excuse, selon le pape.
« Avant d’aller au confessionnal, allez chez le médecin pour qu’il vous donne une pilule contre les nerfs ! a conseillé le pape. Mais soyez miséricordieux ! »
C’est un rappel nécessaire qui devrait raviver notre dynamisme et notre volonté d’agir pour Dieu et pour l’Église. Cela suppose un témoignage de vie à rendre, personnellement, avant tout. Il n’est pas cohérent, pour des prêtres, de célébrer la Miséricorde divine, si au sein de leur propre communauté de vie, il y a un manque manifeste de fraternité, de cohésion et de volonté de vivre ensemble. Des difficultés peuvent, certes, surgir, difficultés inhérentes à la vie communautaire ; mais, elles doivent être dépassées ou surmontées au nom de l’identité et de la mission qui sont à défendre coûte que coûte par ceux-là mêmes qui en sont les porteurs. Pour cela, je suggère de cultiver l’esprit d’écoute, de dialogue vrai et d’entraide dans nos communautés de vie. Que la collaboration soit fluide et efficace entre des frères prêtres, appelés à paitre le troupeau de Dieu. Les premiers à vivre la miséricorde devraient être les prêtres, avant d’en devenir des dispensateurs. C’est en ce sens que les prêtres sont les bénéficiaires de cette miséricorde, lorsqu’ils la vivent entre eux.
C’est autant dire que l’accomplissement de cette mission requiert l’esprit d’équipe et d’Église. Le Pape Benoit XVI nous l’a rappelé dans Africae munus : « On n’est jamais chrétien tout seul. Les dons faits par le Seigneur à chacun– évêques, prêtres, diacres, religieux et religieuses, catéchistes, laïcs – doivent contribuer à l’harmonie, à la communion et à la paix dans l’Église elle-même et dans la société » (Africae munus, 97).
La première lecture et la deuxième lecture que nous venons d’entendre font remarquer ce qui suit : « Vous serez appelés Prêtres du Seigneur ; on vous dira Servants de notre Dieu... » « A lui qui nous aime, qui nous a délivrés de nos péchés par son sang, qui a fait de nous un royaume et des prêtres pour son Dieu et Père, à lui, la gloire et la souveraineté pour les siècles des siècles... »
A nous de prendre conscience de notre identité, de notre mission, de notre place et de notre rôle au sein de la société et de l’Église, surtout en cette Année de la Miséricorde. A l’Assemblée de la Congrégation pour le Clergé, le Pape disait ceci :
« Un bon prêtre, souligne le Pape, est donc avant tout un homme avec sa propre humanité, qui cannait sa propre histoire, avec ses richesses et ses blessures, et qui a appris à faire la paix avec soi-même, atteignant la sérénité de fond, celle d’un disciple du Seigneur ». C’est ainsi, « pacifié », qu’il pourra répandre la « sérénité autour de lui ». Pas question donc qu’un prêtre soit « triste, nerveux ou dur de caractère ; ça ne va pas et ça ne fait pas de bien ni au prêtre ni à son peuple ». Et de demander à ce que « les fidèles ne paient pas la névrose des prêtres ». Le prêtre ne doit donc pas perdre « ses racines ».
Pendant ce triduum pascal, tout nous parle de miséricorde et nous montre que l’amour de Dieu n’a pas de limite. Vivons saintement ces trois jours.
Faisons résonner fort en nos oreilles et donnons une suite réelle, concrète à cette béatitude du chapitre 5,7 de Matthieu : « Heureux les miséricordieux, car ils obtiendront miséricorde ». Le Pape François nous dit que « c’est la béatitude qui doit susciter notre engagement tout particulier en cette Année Sainte ».
Que le Seigneur nous bénisse, bénisse notre Église et notre pays en cette période importante de notre histoire !
Amen !
Monseigneur Anatole MILANDOU, Archevêque de Brazzaville
Homélie de la Messe Chrismale à la Cathédrale du Sacré-Cœur,
le 24 mars 2016