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SOLIDARITE ET PAIX DEVANT LA TEMPETE DE LA CRISE (Carême 1989)

Publier le 8 février 1989

Chers frères et sœurs,
 

1. La crise :


Je profite de ce temps de Carême 1989 pour vous inviter à œuvrer dans une solidarité constructive et une paix réelle devant la violente tempête de la crise qui s’abat sur notre monde en général et sur notre pays en particulier, secouant ainsi les bases de l’équilibre de notre société. Les mass-médias ne cessent de nous rappeler que la période que nous traversons connaît plusieurs turbulences de type économique, social, culturel et spirituel qui se résument en un seul mot : la crise.

Et devant cette redoutable réalité, l’Église Catholique ne peut rester muette comme l’exprime bien le Concile Vatican II en ces termes :

Les joies et les espoirs, les tristesses et les angoisses des hommes de ce temps, des pauvres surtout et de tous ceux qui souffrent, sont aussi les joies et les espoirs, les tristesses et les angoisses des disciples du Christ, et il n’est rien de vraiment humain qui ne trouve écho dans leur cœur” (G.S., 1).

Les divers fléaux entraînés par cette crise sont également bien connus : l’augmentation de la mendicité de la part de jeunes enfants, le vol, la corruption, l’accusation arbitraire de sorcellerie, la recrudescence de la pratique de la magie et du fétichisme, le recours inconsidéré aux sectes ainsi que l’absorption de la drogue, bref tout un ensemble de misères que l’Épiscopat Congolais n’a pas manqué de signaler dans sa lettre de Loubomo :

En ce temps de crise, l’extension des grandes Villes favorisent l’apparition dans nos sociétés d’une nouvelle catégorie de miséreux, rejetés ou abandonnés par leur famille et qui ne peuvent pas compter sur la solidarité traditionnelle. Ces personnes de tous âges tombent dans une pauvreté si extrême que seule la charité chrétienne peut venir à leur secours” (Le chrétien, messager de la paix, n°4 1).

Dans l’ordre naturel, il ne faudrait certes pas oublier des élans occasionnels de philanthropie de la part des hommes de bonne volonté.

Dans le cadre des maladies qui nous oppressent, signalons au passage le “sida” qui attaque en sourdine mais n’en reste pas moins un mal redoutable et â l’endroit duquel je préconise comme mesure préventive la continence et la fidélité matrimoniale, avant toute autre précaution.

Face à cette série de fléaux, le réflexe naturel de tout homme est de se replier sur soi-même ; la tentation est de chercher à se sauver soi-même, alors que l’Évangile nous avertit que “celui qui sauvera sa vie la perdra et celui qui la perdra pour le Christ la sauvera” ( Mt 16, 25).

Nous assistons en effet à un climat de débandade, de découragement et de laisser-aller. Lorsqu’on ne maîtrise plus la crise, on se déverse sur des boucs-émissaires faciles que sont les prétendus sorciers... Aurions-nous peut-être oublié la parole consolatrice du Christ qui ne peut que nous réconforter en ces temps durs ?

Le disciple qui écoute la parole de Dieu et la met en pratique ressemble en effet à un homme avisé qui a bâti sa maison sur le roc. La pluie est tombée, les torrents sont venus, les vents ont soufflé et se sont déchaînés contre cette maison, et elle n’a pas croulé : c’est qu’elle avait été fondée sur le roc (Mt 7, 24-25).

C’est en bâtissant notre vie sur le Roc du Christ, le roc de la foi, le roc de la vérité, le roc de la générosité, le roc du bien et de la justice, que nous pourrons résister aux divers assauts du mal.
 

2. Réponse à la crise : Solidarité et Paix :


a) La solidarité :


Devant l’ampleur de la crise, je lance encore un vibrant appel à la solidarité et à la paix.

Solidarité à deux niveaux  :

Il s’agit tout d’abord de prendre conscience de la gravité de la situation actuelle, de la comprendre grâce à un effort pénétrant d’analyse pour déceler les causes réelles qui l’ont provoquée et découvrir toutes les possibilités de dépassement qui se présentent à nous. Sûrs de l’appui de la Providence, nous nous refusons à toute attitude de démission, de résignation et d’apathie contraire à la vocation chrétienne et humaine qui ne se laisse abattre par aucune fatalité. Nous encourageons également tous les Responsables à quelque niveau que ce soit qui déploient leurs efforts en vue de chercher une issue heureuse à la crise.

Il s’agit ensuite d’inventer de nouvelles formes de partage, de libérer la créativité, de stimuler l’esprit d’entreprise et de participer activement à la lutte contre le chômage. Parmi les formes de partage à encourager, nous citerons entre autres le partage des biens (nourriture, médicaments, vêtements, etc.), mais aussi le partage des compétences pour une meilleure promotion des uns et des autres au sein de notre Église et de notre société.

Nous devons d’ailleurs nous demander en conscience comment est-ce possible qu’à l’heure où notre pays compte une multitude de cadres, il existe simultanément une stérilisation des compétences et parfois même une pénurie du personnel nécessaire. La solidarité humaine nous demande d’avoir confiance en l’homme, car chaque homme qui vient au monde porte avec lui un talent, une potentialité du salut. Il faut avoir l’humilité de savoir demander à l’autre ce qu’il peut faire, car à chacun les dons de l’Esprit-Saint sont accordés pour le bien commun (1Co 12, 7). Aucune catégorie de personnes n’est dès lors à écarter. C’est ensemble que nous arriverons à maîtriser la situation de crise. Nous sommes appelés à prendre collectivement en main notre destin car comme le dit un proverbe de chez nous : un seul doigt ne suffit pas pour jouer le tam-tam.

Nous encourageons ainsi toutes les initiatives spontanées qui fusent çà et là dans notre Église et dans notre pays en vue de soulager la misère : Ateliers de travail, Écoles Spéciales pour handicapés, Caritas Paroissiales et Diocésaines, récupération et accueil des enfants abandonnés, hospice des personnes âgées, visites et soins des grabataires, assainissement des rues par certaines Paroisses, récupération des médicaments non utilisés et non périmés au profit de personnes démunies sous le contrôle régulier de Médecins compétents, etc.

Cette solidarité fraternelle est d’ailleurs soulignée par les Évêques Congolais dans leur lettre sur les sectes :

Le salut que nous recevons personnellement, nous le vivons en Église et nous sommes appelés à sauver le monde en Église. Nous qui avons été sauvés, nous devenons à notre tour sauveurs, artisans de paix et de réconciliation en nous engageant dans la construction d’une Église visible, mais aussi dans la transformation du monde et dans le salut de nos frères ; unis dans le même esprit de communion, nous sommes appelés à faire de ce monde le lieu d’une vie fraternelle” (Lettre sur la foi catholique face aux sectes, n°20).

C’est dans ce même ordre d’idées que j’en appelle de nouveau à la redécouverte de la solidarité familiale comme je l’avais déjà affirmé dans ma lettre sur la famille :

L’extrême mobilité sociale qui caractérise notre société en voie de modernisation rapide nous fait courir le risque de voir s’établir parmi nous de grandes disparités entre riches et pauvres. Notre chance est que chez nous, chaque famille a ses riches et ses pauvres et que si nous savons maintenir dans la fidélité à nos coutumes la cohésion de nos familles au-delà de ces disparités de situation sociale et de revenu, nous pouvons faire naître un type de société remarquablement cohérent et bâtir sur la cohésion de nos familles la paix sociale et la cohésion de la nation” (La famille et le mariage chrétien, n°38).
 

b) La paix :


Tout en œuvrant pour la solidarité, il faut en même temps construire la paix, car heureux les artisans de paix, ils seront appelés fils de Dieu (Mt 5, 9). Je vous invite à vous efforcer de surmonter autant que possible les barrières du péché, de la violence et de l’injustice sous toutes les formes. Le Concile Vatican II nous rappelle d’ailleurs que “l’avènement de la paix exige de chacun le constant contrôle de ses passions, la ferme volonté de respecter les autres hommes, les autres peuples et la pratique assidue de la fraternité” (G.S., n°78).

Devant l’incendie de la crise actuelle, quel intérêt peuvent avoir les familles à se diviser et à s’entre-déchirer pour des problèmes d’héritage, de sorcellerie ou de jalousie ? On gagnerait plus à travailler de commun accord dans la paix et la sérénité, car comme chacun le sait, c’est l’union qui fait la force. Le Christ lui-même affirme dans l’Évangile que “si une famille se divise, cette famille ne pourra pas tenir” (Mc 3, 25). N’oublions pas non plus que la vraie paix qui naît de l’amour du prochain ne peut venir en définitive que de Jésus, lui qui est venu nous l’apporter comme un don de Dieu en réalisant la Nouvelle Alliance avec toute l’humanité par le sang de sa croix. “Je vous laisse la paix, nous dit-il, c’est ma paix que je vous donne ; je ne vous la donne pas comme le monde la donne” (Jn 14, 27).
 

3. Carême, temps de conversion, de solidarité et de paix :


Le Carême est le temps favorable où l’Église nous invite à vivre notre conversion à la solidarité et à la paix dans la prière, le jeûne et l’aumône.
 

a) La prière :


Que le Seigneur ravive en nous la ferveur de la prière, les yeux tournés vers le Christ, lui qui est le même hier, aujourd’hui et pour l’éternité (Heb 13, 8) et qui nous assure continuellement de sa protection malgré les vicissitudes de cette vie terrestre. Puissions- nous redécouvrir, en ce temps de crise, la valeur inestimable du mystère de l’Eucharistie, source de dynamisme spirituel et de salut, et en même temps lieu privilégié où nous venons apporter nos soucis et nos travaux et puiser ensuite la force divine qui nous aidera à faire inlassablement le bien, même et surtout en ces temps difficiles.
 

b) Le jeûne :


Même si l’Église n’impose plus de jeûne rigoureux aux fidèles, il n’en reste pas moins un impératif évangélique (Mt 4, 2 6, 17-18 ; Lc 2, 37). Que l’expérience du jeûne durant ce temps de Carême nous aide donc à savoir maîtriser les désirs démesurés de notre corps et à nous libérer pour la pratique de la charité fraternelle.
 

c) L’aumône


Que l’aumône qui, accomplie dans un esprit d’authentique charité et de sacrifice, purifie de toute faute (Tb 12, 9), nous ouvre les yeux sur les besoins réels de nos frères en difficulté et nous serve à nourrir les membres souffrants du Corps du Christ. Je vous invite dès lors, frères et sœurs, à soutenir votre Église, car elle a pour mission et pour vocation de surmonter toute distinction de race et de classe et d’assurer la paix entre les peuples, et les différentes communautés et familles humaines, elle qui est le Corps du Christ et la dispensatrice de l’Esprit.

C’est dans cet esprit de solidarité et de paix que je vous souhaite un temps de Carême riche en grâces de conversion profonde en vue d’une fidélité sans compromission et sans faille au Christ-Jésus qui nous dit : “Celui qui tiendra jusqu’au bout sera sauvé” (Mt 10, 22).

 

Monseigneur Barthélémy Batantu, Archevêque de Brazzaville,
Carême 1989
Brazzaville, le 8 Février 1989.


 

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